Les lignes Maginot et les murs Trump n'auront pas raison de la mondialisation

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La mondialisation prend de nouvelles formes. Mais elle n'est pas finie...

Thomas L. Friedman, l’auteur du best-seller « La terre est plate », le meilleur plaidoyer à cette heure en faveur de la mondialisation, s’est taillé un franc succès, l’été dernier, en forgeant un nouveau slogan. Dans une tribune au New York Times, il opposait en effet, les « gens du Mur » (Wall people) aux « gens du Web » (Web people).

Les premiers veulent enrayer des changements qu’ils jugent menaçants. Ils parlent au nom du foyer, des racines. Ils veulent vivre et travailler au pays... et dans la compagnie de gens qui leur ressemblent.

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Les gens du Web « comprennent que, dans une période de changements rapides, les systèmes ouverts sont plus flexibles, plus résilients et plus dynamiques. »

Le Britannique Mark Leonard, directeur du think tank European Council on Foreign Relations confirmait récemment cette intuition à l’aide de statistiques. Les Wall people, ce sont les travailleurs âgés ou retraités. Les Web people, les jeunes diplômés. Trump a obtenu 53 % des suffrages chez les plus de 65 ans, mais seulement 37 % des moins de 30 ans.

« La rhétorique pessimiste attire les seniors », conclut Leonard. Tandis que les juniors sont plus optimistes quant à l’avenir. Mais les uns et les autres partagent l’idée que nos vieilles démocraties représentatives s’écroulent.

Or, tandis que le « peuple du Mur » espère faire revenir le temps d’avant, retrouver un environnement plus familier, le « peuple du Web », lui, souhaite une politique remise au niveau des technologies d’aujourd’hui. Notre économie est caractérisée par la multiplication des choix, la personnalisation de l’offre, la participation du client à l’élaboration du produit. Notre vie politique est en retard. Elle se structure autour de partis « retranchés, quoique déclinants ». Conclusion : la politique doit s’ubériser, comme l’ont fait les taxis et les hôtels. Se désintermédier.

Le grand économiste turc Dani Rodrik, qui enseigne à Harvard, écrit sur le site Project Syndicate : « la révolte populaire, qui semble s’être déclenchée, prend des aspects divers qui, parfois, se recoupent : réaffirmation des identités régionales ou nationales, exigence d’un plus grand contrôle démocratique, rejet des partis politiques centristes et méfiance envers les élites et les experts. »

Et Rodrik d’embrayer : avec d’autres économistes, j’avais mis en garde contre les risques que comportaient les évolutions récentes de la « globalisation » - le mot que les autres pays utilisent de préférence à notre « mondialisation ». Pour cet économiste, cette globalisation a été poussée un cran trop loin – « au-delà des limites posées par les institutions qui régulent et stabilisent les marchés. » Nous sommes dans une « hyper-globalisalisation », qui a follement enrichi l’Asie, mais a également désagrégé le tissu social de la plupart des pays développés, en rejetant hors du système productif la plupart des travailleurs insuffisamment qualifiés (ou recyclés).

Pour cet auteur, je le cite encore « la plus grande surprise est le caractère droitier de la réaction politique. » Si la gauche ne bénéficie pas de ce qui est, pourtant, une crise du capitalisme, poursuit Rodrik, c’est qu’elle ne peut pas utiliser le thème de l’immigration. Alors que cette immigration fait l’objet d’un rejet de la part des catégories sociales qui ont le plus souffert de la mondialisation. Pour eux, l’insécurité culturelle se surajoute à l’insécurité sociale.

Ce qui frappe la plupart des observateurs, c’est que la remise en cause de la mondialisation l’ait emporté dans le pays même qui en avait donné le branle. Les Etats-Unis sont les promoteurs traditionnels de la libre circulation des navires, des capitaux et des marchandises. Comment ce pays en est-il arrivé à élire un homme qui dénonce, aussitôt élu, tous les traités commerciaux négociés avec son prédécesseur ?

Contrairement à ce qu’on croit souvent en France, la situation est très différente dans les îles britanniques. Les Anglais ne sont pas hostiles à la mondialisation, comme le démontre un tout récent sondage IPSOS : une faible minorité des Français (seulement 26 %) considèrent l’ouverture de leur économie aux entreprises étrangères et au commerce international comme « une opportunité ». Au contraire, une majorité de Britanniques partagent cette opinion (54 %). Le Brexit ne traduit pas un désir protectionniste, comme on l’affirme souvent chez nous, mais au contraire, l’aspiration au grand large asiatique, en étant débarrassé d’une Union européenne, jugée trop réglementaire…

Laura Tyson et Susan Lund, deux économistes importantes signent dans Project Syndicate un article expliquant ce qui est en train de se produire du côté de la mondialisation. Oui, le rythme d’expansion du commerce mondial a ralenti. Entre 1990 et 2007, il progressait deux fois plus vite que le PIB mondial. Aujourd’hui, il continue à progresser, mais moins vite que la croissance mondiale. Mais cela ne veut nullement dire que « la mondialisation recule ». Encore moins qu’elle est derrière nous, selon les deux économistes. C’est juste qu’elle est en train de basculer de l’échange de biens à l’échange de données numériques. Car dans ce domaine, les échanges transfrontaliers explosent. Et on n’a pas encore tout vu.

Grâce aux plateformes numériques, telles que Facebook ou Alibaba, les plus petites entreprises ont soudain accès au marché mondial. Elles vont se transformer en « micro-multinationales », trouvant des fournisseurs et des clients dans le monde entier. Oui, la mondialisation a encore de beaux jours devant elle… Elle change de nature. Et les lignes Maginot – ou les murs Trump n’y pourront pas grand-chose...

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