Le couple franco-allemand patine sur la défense européenne

Les ambitions ne manquent pas, les grandes idées non plus. Si le couple franco-allemand s’affiche uni sur la question de la défense européenne, les projets peinent à se concrétiser à cause de priorités divergentes.

C’était un de ses sujets de prédilection. La défense a donc sans surprise pris une place majeure dans la tribune du 5 mars du président français. Dans le sillage du traité d’Aix-la-Chapelle, Emmanuel Macron propose cette fois-ci de mettre en place un Conseil de sécurité des Européens.

« D’importants progrès ont été réalisés depuis deux ans [en matière de défense], mais nous devons donner un cap clair : un traité de défense et de sécurité devra définir nos obligations indispensables, en lien avec l’OTAN et nos alliés européens : augmentation des dépenses militaires, clause de défense mutuelle rendue opérationnelle, Conseil de sécurité européen associant le Royaume‑Uni pour préparer nos décisions collectives », énonce le président français.

Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS, craint que ce discours n’éclaircisse pas vraiment le tableau de la défense européenne. « On vient tout juste de comprendre l’autonomie stratégique, on comprend à peine l’initiative européenne d’intervention [proposée dans le discours de la Sorbonne], et là, Paris revient avec de nouveaux concepts », a-t-il constaté lors d’un événement organisé le 5 mars à Paris par l’ECFR, le European council on foreign relations.

Neuf pays se retrouvent pour faire avancer l'Europe de la défense

Les neuf pays signataires de l’Initiative européenne d’intervention se retrouvent pour la première fois à Paris pour donner un contour concret à ce projet censé muscler l’Europe de la défense. Un article de notre partenaire, Ouest-France.

Selon le chercheur, Emmanuel Macron prend le contre-pied de la méthode « Le Drian », son ministre des Affaires étrangères, qui adopte depuis 2013 une approche pragmatique, « beaucoup plus opératoire que déclaratoire ».

Le ministre se concentrait sur des coopérations militaires tangibles plutôt que sur de grandes envolées lyriques, explique-t-il, alors que le président part du déclaratoire et de grandes idées. Or, la politique européenne est un « orchestre désaccordé » et au moment de concrétiser les initiatives, les contradictions ressurgissent.

Divisions franco-allemandes

En Allemagne, l’initiative européenne d’intervention fait l’objet de critiques, car elle est considérée comme un véhicule pour l’interventionnisme français.

« De son côté, la France a tendance à ne pas écouter les petits pays et à ne pas prendre l’Allemagne au sérieux », estime Ulrike Esther Franke, chercheuse au programme Europe Puissance de l’ECFR. Pour Olivier de France, la question est donc de savoir si la France est prête à intervenir avec les autres pays. « On intervient au Mali seuls et quand c’est fait on demande l’aide des autres. C’est paradoxal car l’administration française a une approche très européenne. Si on veut vraiment faire l’UE, il faut la faire avec les autres et non pas contre les autres, et donc faire des compromis, écouter et discuter. Paris ne peut pas toujours avoir le dernier mot. »

L'UE divisée après les frappes contre la Syrie

Les frappes effectuées en Syrie par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni sont loin de faire l’unanimité au sein de l’UE. Le chef de la diplomatie française Jean-Yves le Drian va chercher à resserrer les rangs au cours d’une réunion avec ses homologues lundi à Luxembourg.

 

Autre grosse pierre d’achoppement en matière de défense entre Paris et Berlin, l’exportation d’armes, notamment en Arabie saoudite. Les deux pays doivent pourtant coordonner leur politique d’exportation d’armes dans le cadre du nouveau traité d’Aix-la-Chapelle.

Or, depuis l’assassinat du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, dans le consulat de l’Arabie saoudite à Istanbul, le gouvernement allemand a durci mi-novembre sa position vis-à-vis du pays et décidé d’arrêter les exportations d’armes. Une position qu’Emmanuel Macron a qualifiée de « naïve ».

« Sans exportation, il n’y a pas de modèle économique », confirme Olivier de France.

Bon exemple de collaboration entre l’Allemagne et la France pour mettre en marche une défense européenne, l’avion de combat du futur, le Scaf (système de combat aérien futur) fait aussi ressortir les divergences : la France veut des assurances pour ce qui est des exportations.  « Berlin va rassurer Paris à ce sujet, mais il y aura toujours de problèmes au moment de se mettre d’accord. »

« Pour l’Allemagne l’industrie de la défense n’est pas aussi importante qu’en France car le pays compte  beaucoup d’autres industries », explique Ulrike Esther Franke.

Pour la chercheuse, les positions des deux pays ne sont pas si différentes mais l’Allemagne et la France divergent sur les priorités. Pourtant, dans les deux pays, les populations sont favorables à une défense européenne renforcée.

Opinion publique favorable

Que ce soit dans l’Hexagone ou Outre-Rhin, l’opinion publique est favorable à une défense européenne commune, ainsi qu’à l’idée d’une armée européenne. Pour des questions économiques d’abord, mais aussi par antiaméricanisme.

« Même si la population allemande reste très antimilitaire, elle pense qu’en combinant les budgets de défense européenne, elle dépensera moins au niveau national », affirme la chercheuse allemande.

Actuellement, les dépenses en défense représentent 1,2 % du PIB allemand, très loin des 2 % voulu par les États-Unis dans le cadre de l’OTAN. « Le projet est d’arriver à 1,5 % en 2024, mais c’est peu probable car le budget allemand de la défense ne montera pas autant que la ministre l’a annoncé. »

« Lors des consultations citoyennes, c’est le sujet de la défense qui revient le plus », observe Manuel Lafont Rapnouil, directeur du bureau de Paris de l’ECFR. « Emmanuel Macron et Angela Merkel ont envie d’en faire un sujet à l’heure où les États-Unis de Donald Trump ne semblent plus assez fiable pour assurer la sécurité de l’Europe. »

Tusk conseille à Trump de choyer ses alliés

« L’Europe est votre meilleur allié, s’il vous plait, rappelez-vous de cela », a déclaré le président du Conseil européen, Donald Tusk dans une allocution indirecte à Donald Trump qui se rend cette semaine au sommet de l’OTAN à Bruxelles.

 

Au vu des relations transatlantiques qui se détériorent, Angela Merkel assure que les Européens doivent prendre leur destin entre leurs mains.

« L’antiaméricanisme est croissant en Allemagne », constate Ulrike Esther Franke, « mais la population allemande ne comprend pas forcément le lien qui nous unie sur les questions de défense (dissuasion etc.) »

Inscrivez-vous à notre newsletter

S'inscrire