Poutine cherche à asseoir l’image de la « Grande Russie »

La garde nationale de Vladimir Poutine sera dotée de 400.000 hommes.

Affaiblie économiquement par les sanctions européennes et le recul des prix du pétrole, la Russie continue de se rêver en grande puissance.

Dernier symbole en date d’une dérive sécuritaire croissante, la Russie a annoncé début avril la création d’un nouveau corps militaire, appelé Garde nationale, et ayant pour objectif de lutter contre le terrorisme et le crime organisé. L’organisation qui aura des fonctions comparables à celle du FSB (service fédéral de sécurité), sera forte de 400 000 hommes.

Elle sera surtout placée sous la tutelle directe du président russe. Le général Viktor Zolotov, ancien garde du corps de Vladimir Poutine, a été désigné pour la diriger.

« Vladimir Poutine veut avoir le doigt sur la gâchette plus facilement, il veut disposer d’un outil assez rapide sans passer pas trop d’intermédiaire. C’est à l’image de la centralisation du pouvoir en Russie », estime Eugène Berg, ancien ambassadeur  et auteur de « La Russie pour les nuls ».

Les nouveaux agents seront notamment dotés d’une prérogative qui suscite la controverse, celle du « recours, sans sommation, à la force ou aux armes à feu », lorsque la vie des citoyens ou des agents est en danger. Pour le Financial Times, le chef de l’État russe chercherait à « consolider son autorité à la manière de Jules César », à un moment où les difficultés économiques du pays pourraient aboutir à un mouvement de contestation social.

Selon Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale du Monde, qui s’exprimait lors d’un évènement co-organisé par l’ENS et le Conseil européen des relations internationales (ECFR), à Paris, les deux moments où Poutine s’est senti le plus en danger ont été l’épisode de la place Bolotnaya, lorsque l’opinion publique a contesté les élections législatives de 2011, et celui de la place Maïdan, le mouvement pro-européen en Ukraine.

« En ces temps difficiles, le chef de l’État russe veut garder les choses en main. Il se dote de cet instrument au cas où, pour ne pas être pris au dépourvu », explique Eugène Berg.

Paradoxe russe

Une des raisons pour laquelle la Russie s’est engagée en Syrie était de regagner une position centrale dans les relations internationales, et de montrer sa grandeur.

Pour Fredrik Wesslau, directeur du programme Wider Europe de l’ECFR, la politique étrangère de Moscou est guidée par la volonté de restaurer la légitimité de Vladimir Poutine.

>> Lire : Paris et Moscou se coordonnent a minima en Syrie

Si la Russie souhaite à ce point revendiquer sa puissance sur la scène internationale, ce serait surtout pour cacher sa faiblesse du point de vue intérieur, selon l’expert. « La Russie doit trouver de nouvelles source de légitimité, car la croissance économique est en berne, notamment à cause des sanctions et de la baisse des prix du pétrole », précise Fredrik Wesslau.

Selon lui, Vladimir Poutine veut réécrire les règles de l’ordre international et limiter la souveraineté des petits États. « Grâce à son intervention en Syrie, Moscou a projeté son pouvoir au-delà de son voisinage immédiat, démontré ses capacités militaires, regagné une place autour de la table des négociations, et en a profité pour montrer qu’en soutenant le printemps arabe, l’Occident n’avait fait que semer le chaos », selon l’expert.

L’unité européenne surprend les Russes

Dans le cadre des sanctions imposées à la Russie, « l’UE fait preuve d’une unité remarquable », constate Fredrik Wesslau, tout en ajoutant que même des pays comme la Hongrie soutiennent la position de l’UE. « Quand Viktor Orban s’est rendu à Moscou, il a déclaré « nous n’aimons pas ces sanctions, mais nous sommes Européens ».  « Malgré tous ses efforts pour diviser le bloc, Moscou est très surprise par l’unité des Européens sur l’affaire des sanctions », a ajouté Sylvie Kauffmann.

Le 14 mars dernier, les ministres européens des Affaires étrangères ont réaffirmé leur unité en s’entendant sur cinq principes directeurs [voir Contexte] guidant la politique de l’UE à l’égard de la Russie. Le premier stipule que « la mise en œuvre de l’accord de Minsk est la condition clef pour tout changement substantiel dans la position de l’UE à l’égard de la Russie ».

>> Lire : Une levée des sanctions contre la Russie sacrifierait les valeurs de l’UE

Pour Eugène Berg, ces sanctions s’avèrent néanmoins inefficaces. « L’UE voit les divergences avec la Russie comme un point d’achoppement, mais ce n’est pas comme ça qu’elle résoudra ses crises. Vu l’importance géopolitique de la Russie, il faut qu’elle collabore et agisse aux côtés de Moscou, notamment dans la lutte contre le terrorisme ». Pour l’instant, l’UE manque d’autorité, d’organisation et de structure » estime-t-il

>> Lire : Hélène Blanc: « Poutine méprise l’UE car elle n’a pas d’armée »

Les relations UE-Russie s’annoncent toujours aussi difficiles en 2016. « Il va falloir y travailler, car les enjeux sont grands », a estimé Fredrik Wesslau. Les 8 et 9 juillet, aura également lieu le sommet de l’OTAN à Varsovie, où la décision de renforcer les capacités militaires en Europe de l’Est pourrait être prise et raviver les tensions avec la Russie.

 

Le 14 mars dernier, les ministres européens des Affaires étrangères se sont réunis à Bruxelles pour un Conseil Affaires étrangères présidé par la haute représentante Federica Mogherini. À l’issue de ce conseil, elle s’est félicitée du fait que les ministres se soient entendus à l’unanimité sur cinq principes directeurs guidant la politique de l’UE à l’égard de la Russie :

  • La mise en œuvre de l’accord de Minsk est la condition clef pour tout changement substantiel dans la position de l’UE à l’égard de la Russie ;
  • Le renforcement des relations avec les partenaires orientaux de l’UE  et autres voisins, en particulier en Asie centrale ;
  • Le renforcement de la résilience de l’UE, par exemple en matière de sécurité énergétique, de menaces hybrides ou de communication stratégique ;
  • La nécessité d’avoir un engagement sélectif avec la Russie sur des sujets d’affaires étrangères d’intérêt pour l’UE tels que l’Iran, le processus de paix au Proche-Orient, et la Syrie ;
  • Enfin, la nécessité d’intensifier les contacts et de soutenir la société civile russe.

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