Mohammad ben Salmane a changé. Fini le temps où il incarnait la revanche de l’Arabie saoudite contre l’Iran et où il promettait d’en finir en quelques semaines avec les houthistes au Yémen. Finis aussi les slogans bellicistes et les tournées triomphales aux États-Unis et en Europe. “La solution politique et pacifique [avec l’Iran] est bien meilleure que la solution militaire”, confie le prince héritier saoudien à la chaîne américaine PBS dans un long documentaire diffusé le 27 septembre. L’affaire Khashoggi est passée par là. Et si le crime est resté impuni, le dauphin semble en payer aujourd’hui les conséquences.

Un an après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul, le prince héritier saoudien ne peut plus compter sur ses alliés d’hier. Le dauphin fait face à “un isolement énorme et qui s’accroît”, résume à L’Orient-Le Jour Jean-François Seznec, chercheur au Middle East Institute.

Une réputation largement dégradée

Rien ne rend mieux compte de cette nouvelle réalité que les réactions occidentales à l’attaque du 14 septembre contre les installations d’Aramco, attribuée à l’Iran par Washington et Riyad. Le cœur économique de l’Arabie saoudite a été frappé. Et pourtant : tous les principaux alliés du royaume ont joué la carte de la modération.

La volonté de ne pas déclencher une guerre que personne ne veut explique en grande partie cette attitude. Mais une donnée nouvelle semble avoir été prise en compte : la difficulté désormais de venir en aide à un royaume dont la réputation s’est largement dégradée dans le monde occidental.

Il est très difficile maintenant pour les États-Unis de prendre une position dure contre l’Iran militairement, car il n’y a pas de consensus sur le rôle de MBS dans l’assassinat de Khashoggi et sur d’autres problèmes en Arabie”, indique Jean-François Seznec.

L’Arabie saoudite, à cause de Mohammad ben Salmane, n’a plus d’amis politiques à Washington.

Bien que Riyad nie fermement avoir été impliqué dans l’assassinat du journaliste, les conclusions de la CIA sont tombées comme un couperet en novembre dernier : MBS a ordonné l’assassinat et une quinzaine d’agents saoudiens ont été envoyés pour remplir leur mission. La publication en juin dernier des conclusions de l’enquête menée par Agnès Callamard, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a enfoncé le clou. Donnant des détails sur la manière dont l’opération a été réalisée, elle y tient l’Arabie saoudite pour “responsable” de l’“exécution extrajudiciaire” de Jamal Khashoggi et appelle la communauté internationale à réagir.

Lumières sur la guerre dévastatrice au Yémen

Si Donald Trump a choisi de faire fi des résultats de l’enquête des agences de renseignements américaines et de continuer à entretenir des liens étroits avec le jeune dauphin, le soutien du président américain se fait de plus en plus distant. Dans le même temps, le Capitole est devenu particulièrement hostile à l’Arabie saoudite, tant du côté démocrate que républicain.

Le sordide meurtre du journaliste saoudien, très connu dans les cercles de la capitale américaine, a mis en lumière les conséquences dévastatrices de l’intervention de la coalition menée par Riyad et Abou Dhabi au Yémen.

En avril dernier, la Chambre des représentants vote une résolution pour mettre un terme à tout engagement américain dans la guerre au Yémen, alors que Washington fournit une assistance militaire et en matière de renseignement aux forces saoudiennes. Cinq mois plus tôt, le Sénat américain avait pour sa part déjà voté une résolution tenant MBS comme “responsable du meurtre” de Jamal Khashoggi.

Prudence de l’Europe et des Émirats Arabes Unis

L’embarras est tout aussi perceptible du côté des partenaires européens de Riyad. Sous une pression accrue des ONG sur la question des ventes d’armes utilisées par l’Arabie saoudite au Yémen et souhaitant maintenir des relations cordiales avec Téhéran, les déclarations des Européens sont prudentes suite à l’attaque d’Aramco.

Dans un Golfe déjà divisé depuis le blocus contre le Qatar de 2017, les Émirats Arabes Unis font également profil bas. L’allié principal du royaume wahhabite dans la région craint des répercussions sur son sol et se contente de qualifier l’opération d’“acte terroriste et subversif”. Abou Dhabi avait déjà pris ses distances avec Riyad au début de l’été en retirant ses troupes du sol yéménite, fragilisant un peu plus la posture saoudienne dans la région.

Qualifié de “paria” dans les médias, celui qui faisait l’objet de toutes les convoitises est aujourd’hui mis au ban de la scène internationale. Une hostilité qui s’est cristallisée lors du G20 de novembre 2018 à Buenos Aires où les dirigeants occidentaux ont pris soin d’éviter de se trouver aux côtés du prince héritier saoudien. Seul le président russe, Vladimir Poutine, lui offre alors une chaleureuse compagnie.

Une nouvelle ligne de défense

Depuis un an, “Mohammad ben Salmane fait face à de sérieuses restrictions quant à sa capacité de voyager en Europe et en Amérique du Nord, surtout aux États-Unis”, observe pour L’OLJ Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Université Rice. “Bien que le prince héritier soit apparu aux sommets du G20 et qu’il puisse visiter des pays comme la Russie et la Chine, le fait qu’un futur roi d’Arabie Saoudite se voit limité dans ses voyages chez ses partenaires internationaux les plus importants pourrait compliquer son règne pendant plusieurs années”, souligne-t-il.

Signe de sa tentative de redorer son blason sur la scène internationale, Mohammad ben Salmane a adopté une nouvelle ligne de défense au sujet de l’affaire Khashoggi. “J’assume l’entière responsabilité parce que cela s’est déroulé sous mon règne”, a-t-il déclaré sur la chaîne PBS, avant d’affirmer ne pas avoir été au courant de l’opération.

Regagner la confiance des investisseurs

Le gouvernement saoudien s’est rendu compte que de parler du crime était non seulement crucial pour regagner la confiance internationale mais aussi pour rassurer les investisseurs étrangers qui hésitent à investir dans le royaume depuis l’affaire Khashoggi”, note Eman Alhussein, chercheuse invitée au European Council on Foreign Relations.

Selon elle, “l’Arabie saoudite place de grands espoirs dans la mise en œuvre de sa Vision 2030 qui demande une confiance internationale, d’où sa tentative d’être plus ouverte en ce qui concerne le crime, d’ouvrir le pays au tourisme et d’assouplir encore les restrictions sociales à l’intérieur du pays”.

Riyad a notamment annoncé la semaine dernière l’autorisation d’émettre des visas aux touristes étrangers, tandis que les Saoudiennes de plus de 21 ans peuvent obtenir un passeport et voyager à l’étranger sans l’autorisation d’un “tuteur masculin” depuis août dernier. Mais il en faudrait probablement plus pour effacer les séquelles d’une affaire qui a fait le tour du monde.

Les nouveaux amis de MBS

Pour trouver de nouveaux soutiens, MBS se tourne vers les régimes autocrates. Il effectue une tournée au Pakistan, en Inde et en Chine en février dernier dans l’objectif de consolider les relations de Riyad avec d’autres partenaires, peu à même de le questionner sur les violations des droits de l’homme ou l’affaire Khashoggi.

Un voyage qui lui permet de conclure différents contrats, de tenter se positionner comme médiateur potentiel dans le conflit entre New Delhi et Islamabad autour du Cachemire ou encore de contrer l’influence iranienne en Inde.

Le projet des Routes de la soie initié par Pékin est également dans la ligne de mire de Riyad. Selon Kristian Ulrichsen, “l’Arabie saoudite pourrait continuer à développer des relations politiques, économiques et même sécuritaires plus étroites avec des pays tels que la Russie, la Chine et l’Inde, afin d’équilibrer ses relations plus difficiles avec les États occidentaux”.