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Asie-Pacifique

Ce que cache le tir de missile de la Corée du Nord de Kim Jong-Un

Après un tir de missile nord-coréen au-dessus du Japon, et alors que Donald Trump a affirmé que "toutes les options sont sur la table", comment la communauté internationale peut-elle répondre à la nouvelle provocation de Kim Jong-Un? Réponse avec Mathieu Duchâtel, directeur adjoint du programme Asie à l'ECFR (European Council on Foreign Relations).

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La Corée du Nord a tiré un missile balistique mardi au-dessus du Japon, une escalade majeure qui a alarmé la communauté internationale et suscité une réaction cinglante de Tokyo.

La Corée du Nord a tiré un missile balistique mardi au-dessus du Japon, une escalade majeure qui a alarmé la communauté internationale et suscité une réaction cinglante de Tokyo.

AFP

La Corée du Nord semble progresser à grande vitesse sur ses programmes balistiques après de nombreux échecs. Comment expliquez-vous ces progrès rapides?

Les Nord-Coréens mènent de front tous les programmes balistiques imaginables depuis de longues années, que ce soit pour des missiles de courte, moyenne ou longue portées. Ils ont depuis longtemps des Scud de courte portée. L'objectif est d'obtenir une portée intercontinentale. Ils développent 5 ou 6 programmes de missile si on prend en compte ceux pour les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Ce qui est très net, c'est l'accélération de la fréquence des tests depuis 2015 et cette année. La Corée du Nord a accumulé des progrès importants. Ce n'est pas exclu qu'ils aient pu avoir des apports extérieurs. Un rapport des Nations-Unies détaille précisément comment ils évitent les sanction de l’ONU. Ils utilisent des réseaux de prolifération afin de contourner les sanctions. Désormais ils sont arrivés à un tel niveau de développement de technologie qu'ils peuvent s’appuyer sur leurs propres forces pour emporter des charges nucléaires, ou un arsenal biologique ou chimique.

Quel est l'objectif de la Corée du Nord derrière son programme balistique?

Ce qu’ils veulent maîtriser c'est obtenir un missile dissimulable sur le territoire nord-coréen (transportable par camion). Ils ont pour cela besoin de fioul solide, ce qu'ils n'ont pas pour tous leurs missiles. Cela permet une charge du missile plus rapide. Ils ont fait des progrès sur tous les aspects des programmes de missile: la portée, la miniaturisation de la tête sans oublier le véhicule de rentrée dans l’atmosphère. La logique de ces programmes est à la fois politique et stratégique. L'objectif ultime est d'obtenir la capacité opérationnelle de pouvoir lancer des missiles jusqu'aux États-Unis ainsi que la capacité de dissimuler les missiles. Ils veulent éviter à tout prix la décapitation de leur programme de missile par une première frappe américaine. Cela resterait extrêmement difficile à réaliser et les Américains eux-même affirment ne pas être certains de pouvoir le réussir.

Pourquoi choisir de tirer un missile maintenant au-dessus du Japon?

Ce tir de missile au-dessus du Japon procède d'une escalade. Il existe plusieurs niveaux de lecture. Tout d'abord l'effet de surprise stratégique est important. Puis il intervient dans une logique de dissuasion. C’est une réponse à Donald Trump qui est égalment rentré dans une logique de dissuasion étendue aux alliés des États-Unis. Trump a réaffirmé le principe de dissuasion nucléaire. Dans le même temps, la Corée du Nord avait promis de tirer 4 missiles sur l'Ile de Guam. Puis un seul. Puis ils ont répondu qu'en fin de compte, ils y réfléchissait. Cela a donné l’impression que les Américains avaient pris le lead sur le dossier. D'autant plus qu'en tirant sur Guam, ils auraient pris le risque d’une interception.

En tirant un missile au-dessus du Japon, la Corée du Nord a pris un risque très important. Leurs missiles sont opérationnels mais ne sont pas extrêmement fiables. Le missile aurait très bien pu tomber avant sur le territoire japonais. Ceux-ci pouvaient l'intercepter s'ils le désirait. Cela aurait montré l'opérationnabilité du système AEGIS d'interception.

Cette manoeuvre renvoie la balle dans le camp des Américains et des Japonais. Le nouveau ministre de la Défense japonais a expliqué qu'il souhaitait intégrer dans les forces japonaises, des missiles d’attaques terrestres. Un débat s'est ouvert à Tokyo sur l’autonomie stratégique du pays afin d'avoir des capacités de réponse propres.

Les Nord Coréens veulent être capable de dissuader les Japonais d'entrer dans un éventuel conflit tout en démontrant leur capacité de lancer des missiles de portée intermédiaire pour frapper les bases américaines au Japon ou le Japon lui-même. Ce n'est pas un hasard qu'ils adressent un message de dissuasion au pays qui est le seul à avoir subi une bombe nucléaire dans l’Histoire. Ils sont perçus comme le maillon faible de l'axe Japon-Corée du Sud-États-Unis. Ce tir de missile réduit encore la marge de manœuvre de la Corée du sud, qui était déjà assez réduite.

Le Conseil de sécurité de l'ONU va se réunir une nouvelle fois. Les Nations-Unies demeurent-elles impuissantes face aux provocations de la Corée du Nord?

Les sanctions de l'ONU permettent de limiter le développement économique nord-coréen afin de faire payer le coût de la prolifération à Kim Jong-Un. Il existe encore un certain espace pour les renforcer, notamment sur les travailleurs nord coréens à l’étranger. La résolution d'août de l'ONU gèle l’envoi de nouveaux travailleurs. Il existe encore la possibilité de renvoyer ses travailleurs en Corée du Nord. On s’approche petit à petit à chaque fois d’un embargo complet.

Ce qu’il faut voir, c’est qu'en théorie le rôle de sanctions est de construire l’espace politique qui amènerait au désarmement de la Corée du Nord. Sauf que personne n’y croit en réalité. Les sanctions n’y arriveront pas. Elles sont simplement là pour punir les Nord-coréens. Cela envoie message à la communauté internationale. Mais dans cette logique, il y a un risque que l’on accepte la Corée du Nord comme un Etat nucléaire. Cela amène à la question de la double suspension  proposée par la Chine (des essais de missiles ainsi que des manoeuvres militaires des Sud-coréens et des Etats-Unis). Cette proposition vient d'une idée nord-coréenne à l'origine. Si on se dirige vers cette formule là comme les Chinois et les Russes l'envisage, d'une certaine manière ce serait comme accepter indirectement la Corée du Nord comme un Etat nucléaire.

Quel est l'intérêt de la Chine dans cette escalade à sa frontière?

L’intérêt de la Chine est assez clair et il demeure très visible dans leurs propositions. Toute leur politique tend à promouvoir plus de stabilité. Ils veulent un gel du programme nucléaire qui soit visible. Ils veulent avoir du temps pour relancer des initiatives diplomatiques: 2-3 ans sans tension pour promouvoir le modèle chinois en Corée du Nord. Le problème, c'est que cela a déjà été essayé. En février 2012, les Etats-Unis et la Corée du Nord ont adopté un accord que Pyongyang a violé rapidement. Il y a un énorme problème de confiance. Comment peut on avoir confiance sur la signature des Nord coréens alors qu'on ne peut vérifier sur place? Je pense que cette proposition de gel est un jeu de dupe.

Une option militaire américaine demeure-t-elle crédible?

La dissuasion fonctionne depuis 2010 jusqu'à aujourd'hui. Mais la paix repose sur un équilibre précaire. On l’a vu dans la décision de ne pas intercepter des États-Unis ou du Japon. Du côté des Etats-Unis et du Japon, il faut que l'opération militaire n'amène pas à une escalade complète. Le message qu’assène les Nords-coréens, c'est que toute action amènera à une escalade. Ils ont réussi à convaincre les Américains des risques d’une intervention militaire.

L'option de décapitation du programme de missile nord-coréen a un coût tellement élevé, qu’elle reste bien trop risquée et trop coûteuse. Je ne suis pas certain qu’elle soit vraiment sur la table. L’option de l’interception pour reprendre l’avantage sur la Corée du Nord est la plus crédible. Si les Etats-Unis envoie le message que la dissuasion nord-coréenne est annulée, cela changerait l’équilibre.

On a l'impression que la France est totalement étrangère au règlement de ce conflit.

La France n'est pas marginalisée car elle est présente au Conseil de sécurité de l’ONU. C'est la voix qui domine au sein de l’UE pour maintenir un régime de sanctions. Bien sûr, elle n'a pas une solution clé en main à offrir dans une situation complexe où 6 puissances sont en première ligne. Le régime de sanction de l'UE est d'ailleurs plus ambitieux que celui de l’ONU. La France donne de la visibilité à la question au sein de l’Europe alors que tous les pays européens ne sont pas aussi concernés.

Est-ce que la décision de Trump de rejeter une proposition chinoise sur les surcapacités d'acier est liée au dossier Nord-coréen pour faire monter la pression sur Pékin?

Donald Trump, dans sa politique chinoise, a tendance à lier des dossiers ensemble, qui seraient normalement traités par de manière séparée. Le Trésor américain a adopté des sanctions pour certaines entreprises chinoises qui travaillent avec des sociétés nord coréennes. J'ai beaucoup de mal à croire que la position américaine sur l'acier soit lié à la Corée du Nord. Ce n'est pas une question décisive dans la gestion de la Corée du Nord avec la Chine.

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