Economie
Expert - Le Poids de l’Asie

 

Chine : une histoire de zèbres pour comprendre la crise

Un zèbre au zoo de Shanghai le 12 juillet 2014. (AFP PHOTO / JOHANNES EISELE)
Un zèbre au zoo de Shanghai le 12 juillet 2014. (AFP PHOTO / JOHANNES EISELE)
Il était une fois deux villages chinois. Dans le premier, les anciens imposaient l’usage de chevaux de trait pour les labours car, affirmaient-ils, les zèbres utilisés dans le second village, étaient à la fois malfaisants et moins performants. Au fil des ans, les anciens finirent par se rendre à l’évidence : ils avaient tort, les zèbres étaient meilleurs que les chevaux. Dès lors, se demandèrent-ils, comment adopter des zèbres sans perdre la face ? Après plusieurs jours de réflexion, ils mirent au point un stratagème. Une nuit, ils peignirent des raies blanches et noires sur tous les chevaux. Le lendemain matin, ils déclarèrent aux villageois ébahis que, contre toute apparence, ces chevaux repeints n’étaient pas des zèbres. Ensuite, chaque année, ils remplacèrent en secret un cheval par un zèbre améliorant ainsi la productivité. Bien plus tard, lorsque tous les chevaux furent remplacés par des zèbres, et que leur village devint tout aussi florissant que l’autre, les lointains successeurs des anciens déclarèrent que les zèbres étaient meilleurs pour les labours. Et pour étayer leurs propos ils modifièrent les registres.
Dans cette histoire rapportée par Mark Leonard, le village des zèbres est Taïwan qui, avec le Japon, la Corée et Singapour, a été l’un des modèles suivis par Deng Xiaoping qui dirigeait le village des chevaux de labour. Cette histoire montre que les dirigeants chinois savent ce qu’il faut faire et que s’ils souhaitent améliorer le sort des villageois, leur priorité est de rester au pouvoir. Les événements de l’été montrent que ces objectifs peuvent entrer en collision. Mais avant d’en venir là, rappelons la genèse de la confiance des marchés dans l’Etat totalitaire chinois.

La résistance de la Chine à la crise mondiale

Publié en 1992, l’ouvrage de la Banque Mondiale sur les Miracles Asiatiques ne mentionne pas la Chine qui avait pourtant connu une croissance rapide depuis 1978. Le « politiquement correct » – deux ans après le massacre de Tian’anmen – ne suffit pas à rendre compte de cet oubli. La Chine était alors un pays pauvre (le revenu par habitant en parité de pouvoir d’achat était celui du Sénégal, aujourd’hui il dépasse celui de la Thaïlande), et la poursuite de sa croissance n’était pas assurée. Comment faire confiance aux autorités d’un pays qui avait connu tant de bouleversements (Grand Bond en Avant, famine, Révolution Culturelle) ? Dans son ouvrage, la Banque Mondiale analysait la Corée, Taïwan, Singapour et les pays de l’ASEAN qui cinq ans plus tard ont été victimes de la crise asiatique.
Cette crise qui, selon les statistiques officielles, aurait épargné la Chine, a amené ses autorités à assainir les bilans des banques d’Etat tout aussi pourris que ceux des banques indonésiennes. Admise à l’OMC en 2001, l’économie chinoise a ensuite connu un essor spectaculaire, grâce aux exportations – sa part du marché mondial passant de 4 à 10 % en six ans -, à l’investissement et dans une moindre mesure à l’élargissement du marché intérieur. En 2007, le Premier ministre Wen Jiabao jugeait cette croissance « déséquilibrée, non coordonnée et non soutenable ». Cinq ans plus tard, Li Keqiang faisait le même constat. Entre-temps, la réponse de la Chine à la crise mondiale avait creusé les déséquilibres.
La contraction du commerce mondiale en 2009 risquait d’arrêter la croissance chinoise. Cela n’a pas été le cas. Quelques jours avant la première réunion du G20 en octobre 2008, le gouvernement a annoncé une relance de 585 milliards de dollars (15 % du PIB), plus ambitieuse que celle des Etats-Unis. Une communication habile car les projets présentés étaient déjà programmés et que le plan consistait à accélérer leur réalisation. La véritable relance a été l’ouverture des vannes du crédit qui a porté l’investissement à 45 % du PIB, un taux sans équivalent en Chine (plus élevé que pendant le Grand Bond en Avant), ni en Asie (37 % en Corée à la veille de la crise asiatique) et ni dans le monde (sauf l’URSS des années 1930). Selon les statistiques officielles, la Chine investit plus qu’elle ne consomme ! Tirée par l’investissement, la relance a été financée par l’endettement des agents (Etat, collectivités, ménages, entreprises), qui atteint 260 % du PIB et qui est libellée pour l’essentiel en yuan.
Surprenant les observateurs, la résistance de la Chine à la crise a engendré une confiance dans la capacité de l’Etat chinois, parfois perçu comme omniscient, à atteindre ses objectifs et à déjouer tous les problèmes, y compris les conséquences de la montée de l’endettement. En effet, des esprits chagrins avaient fait remarquer que dans le monde, les épisodes de hausse rapide du crédit s’étaient achevées par des crises : le crédit avait ainsi augmenté de l’équivalent de 41 % du PIB aux États-Unis (entre 2002 et 2007), de 45 % au Japon (1985 à 1990), de 47 % en Corée (1995 à 1998) et de l’équivalent de 90% du PIB en Chine depuis 2008.
Si l’Etat chinois, conscient des problèmes, connait les solutions, il est d’abord concerné par sa survie. N’étant pas tenues par des échéances électorales, les autorités privilégient les questions de pouvoir et « donnent du temps au temps » pour résoudre les problèmes d’intendance. Ainsi en est-il du rééquilibrage du régime de croissance, de l’investissement vers la consommation. Annoncé par Hu Jintao en 2003, il reste au programme de Xi Jinping dix ans plus tard. Car sa réalisation exige des réformes bien plus difficiles que celles engagées en 1978 : Deng Xiaoping était alors confronté à des positions idéologiques, tandis que Xi Jinping doit aujourd’hui surmonter des intérêts, à commencer par ceux des « fils de princes » dont il fait partie, et des lobbies proches des entreprises d’Etat.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les évènements de cet été.

Crise de confiance

En juillet, la Banque de Chine a modifié la détermination du taux de change en élargissant la bande de fluctuations et retenant comme taux pivot, la parité de la journée précédente. Son objectif était d’augmenter la flexibilité du taux de change pour accroître les chances du yuan d’être inclus dans le panier de devises composant les Droits de Tirage Spéciaux. Une étape dans sa stratégie de promotion de la monnaie chinoise. Faute d’une bonne communication, cette mesure a été interprétée comme le premier acte d’une dévaluation. Ce qu’elle n’était pas car, bien au contraire, la Banque Centrale puise dans ses réserves pour soutenir la monnaie.
La krach de l’été n’est pas la premier qu’a connu la bourse de Shanghai, dont le fonctionnement est plus proche de celui des casinos de Macao que de Wall Street. En 2008, l’indice avait dévissé de 6 000 à 2 000 alors qu’entre le 12 juin et le 7 septembre 2015, il a chuté de 5 100 à 3 000 ; la capitalisation rapportée au PIB a également moins chuté en 2015 qu’en 2008. La différence entre ces krachs est l’attitude des autorités : elles ont encouragé la bourse qui finance moins de 5 % de l’investissement pour qu’elle devienne une alternative au crédit. En autorisant l’achat d’actions à découvert, elles ont favorisé la spéculation. Pire, loin de s’inquiéter de la flambée des cours qui contrastait avec le ralentissement de l’économie réelle, les autorités s’en sont félicitées : l’envolée des « Titres A » réalisait le « rêve chinois ». Un rêve qui s’est brisé le 12 juin lorsque les gros actionnaires ont réalisé leurs profits. L’Etat a contraint les entreprises publiques à racheter des actions pour freiner la chute, puis après avoir injecté 300 milliards de dollars, il a laissé le marché s’écrouler le Lundi noir (24 août) et il est intervenu ensuite pour stabiliser les cours avant l’anniversaire du 70ème anniversaire de la victoire sur le Japon. Les célébrations ont été l’occasion de rappeler que, si son économie faiblit, la Chine est une grande puissance militaire. Parallèlement, puisqu’il faut bien trouver des coupables, le gouvernement a accusé les médias d’avoir provoqué le krach.
L’impact direct de ce krach se limitera à la baisse des achats de la classe moyenne (ceux d’automobile continueront de se contracter). Son impact financier est plus préoccupant car l’endettement est plus élevé qu’en 2008. Son impact symbolique est le plus grave.
Comme cela avait été le cas au Japon après la crise de 1989, ce krach suscite en Chine des interrogations sur la compétence des mandarins. A l’étranger, cette gestion maladroite inquiète. Si cet Etat autoritaire n’arrive pas à gérer un accident boursier, comment pourra-t-il mener les réformes structurelles pour évoluer d’une croissance tirée par l’investissement à une croissance reposant plus sur la consommation ? S’agit-il vraiment d’une maladresse ? L’Etat serait-il intervenu pour limiter les conséquences du krach sur une économie qui, en dépit de mesures de relance, ralentit plus vite que ce que mesurent les statistiques ? La Chine progresse-t-elle au rythme « normal, selon les autorités » de + 7 % , de + 4 % comme l’évaluent des analystes étrangers, ou de – 2 % comme la consommation d’électricité ? Ce flou qui n’était pas un problème lorsque l’économie chinoise caracolait en tête de peloton, inquiéte dès lors qu’elle devient un facteur de risque. Les félicitations adressées à la Chine par le G20 d’Istanbul ce week-end ne font guère illusion. Tous croisent les doigts car ils redoutent une crise.
Ce krach n’annonce pas la fin de la croissance chinoise qui ne manque pas de combustible interne. Toutefois, il instille au moins le doute sur ses perspectives à long terme.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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