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Tribune

Arabie saoudite : le jeu dangereux de «MBS»

LE CERCLE/POINT DE VUE - Le jeune prince héritier Mohammed Ben Salman s'est attaqué aux élites traditionnelles du royaume. Sa tentative de modernisation de l'autoritarisme saoudien n'est pas sans risque.

Arabie saoudite : le jeu dangereux de «MBS»

Par Camille Lons (chercheuse et coordinatrice au programme Moyen-Orient de l'ECFR)

Publié le 9 nov. 2017 à 17:16

L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Samedi 4 novembre au soir, une purge sans précédent a été opérée au sein des hautes sphères du pouvoir saoudien. Onze princes, une trentaine de ministres, dont quatre en fonction, et d’autres hauts fonctionnaires tels que le chef de la garde nationale Miteb Ben Abdullah, ou encore le célèbre prince et milliardaire Walid Ben Talal, ont été arrêtés au nom de la lutte contre la corruption. Cette nouvelle vague de répression fait suite à une première série d’arrestations d’intellectuels et chefs religieux en septembre dernier dans le contexte de la crise du Qatar.

Quelques mois après la destitution de son principal rival, Mohammed Ben Nayef, et de son accession au titre de prince héritier, Mohammed Ben Salman n’a eu de cesse de renforcer sa position en vue d’une très probable accession au trône dans les mois à venir. Ce besoin de réaffirmer sa position est d’autant plus important que sa légitimité est particulièrement contestée au sein même de la famille royale.

Un régime plus modéré ?

Alors que son projet de réforme Vision 2030 est au point mort, que l’intervention au Yémen s’enlise et que la crise avec la Qatar tourne au ridicule, le prince héritier a plus que jamais besoin de mettre la société saoudienne en ordre de bataille pour faire face aux défis qui l’attendent.

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Mohammed Ben Salman a pourtant promis la promotion d’un régime saoudien plus « modéré ». La multiplication de lieux de loisirs, la levée de l’interdiction aux femmes de conduire, ou encore l’annonce récente de la construction de villes futuristes où alcool et espaces mixtes seraient autorisés, ont été autant de mesures visant à démontrer sa volonté de moderniser le royaume et de se détacher de l’influence du clergé wahhabite.

Lire aussi :au nom de la lutte contre la corruption.

Loin de tout idéalisme, l’objectif de Mohammed Ben Salman, aussi connu sous les initiales de «MBS», est avant tout d’améliorer son image auprès des puissances occidentales et des investisseurs étrangers. Les quelques avancées sociales de façade, lui permettent par ailleurs de détourner l’attention et d’éviter toute réforme de fond sur le plan des libertés politiques.

Concentration des pouvoirs

S’il y a bien une modernisation en cours en Arabie saoudite, il s’agit avant tout d’une modernisation de son autoritarisme. Le système politique saoudien reposait jusqu’à récemment sur une certaine forme de séparation des pouvoirs au sein de la famille royale, chaque prince se voyant attribuer une position au sein de l’administration lui permettant de cultiver son réseau de clientèle. La gestion du pouvoir revenait ainsi à maintenir l’équilibre entre les différentes factions, souvent par cooptation grâce à la rente pétrolière, en évitant autant que possible la répression ouverte.

En quelques mois cependant, Mohammed Ben Salman s’est attribué la plupart des positions de pouvoir, et a progressivement marginalisé ses opposants au sein de la famille royale. En plus de sa position de prince héritier, il cumule le poste de vice-Premier ministre, ministre de la Défense, président du Conseil des affaires économiques et du développement, et est responsable de la politique pétrolière et économique du royaume.

Lire aussi : Arabie Saoudite : « C'est une prise de pouvoir qui ne va pas de soi »

Cette rapide montée en puissance s’était accélérée avec la destitution de Mohammed Ben Nayef en juin 2017, alors prince héritier de l’époque. Ce processus de verticalisation d’un pouvoir originellement très horizontal, s’était déjà amorcé lors de l’arrivée au pouvoir de son père, le roi Salman.

Mohammed ben Salman a par ailleurs définitivement tourné le dos à l’élite religieuse conservatrice en affirmant sa volonté de pousser le royaume vers une version «modérée et ouverte» de l’Islam. Le clergé n’a pour le moment montré aucune forme de résistance, et s’est empressé de soutenir les récentes arrestations. Enfin, le jeune prince a poursuivi le mouvement de transformation du système administratif saoudien, éliminant progressivement les scléroses bureaucratiques et les réseaux clientélistes traditionnels, afin de rendre l’administration plus efficace, plus rapide, mais aussi plus facile à contrôler.

Logique de cooptation

Ces différentes mesures prises au pas de course semblent avoir pour objectif de rapprocher l’Arabie saoudite du modèle émirien. Mohammed Ben Zayed, prince héritier d’Abu Dhabi et mentor de Mohammed Ben Salman, exerce une influence réelle sur ce dernier, et aurait notamment joué un rôle de premier plan dans le déclenchement de la crise du Qatar,ou dans les arrestations de septembre. Les structures économiques et sociales de l’Arabie saoudite sont cependant très différentes de celles des Emirats, et des interrogations demeurent quant à la transférabilité de ce modèle.

En s’attaquant aux élites traditionnelles, Mohammed Ben Salman fait un pari risqué. Le système saoudien a en effet toujours fonctionné par cooptation et un tel coup de filet tranche avec l’habituelle discrétion dans laquelle se règlent les intrigues de palais. La transformation du contrat social et la libéralisation de l’économie sont pour le moment moins un danger pour le régime que le rapport de Ben Salman aux élites.

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Il est vrai que le démantèlement du système de protection sur lequel reposait la légitimité du pouvoir saoudien pourrait impliquer une profonde transformation de la relation entre l’Etat et la population, mais il est peu probable pour le moment que ce changement provoque de réels mouvements contestataires. Ceux-ci ne font en effet que peu partie de la culture politique saoudienne, et la plupart ont été largement découragés par la répression actuelle et l’échec des Printemps arabes dans les pays voisins.

La répression des élites traditionnelles est en revanche bien plus problématique. L’expérience des autres pays de la région nous apprend que tout régime autoritaire tire son pouvoir – mais aussi sa faiblesse – de l’existence d’une élite ayant intérêt ou non à maintenir le statu quo.

En démantelant les réseaux clientélistes qui ont jusqu’à présent constitué la base sociale du régime, sans pour autant laisser le temps que s’en reforme une nouvelle, Mohammed Ben Salman fait un pari risqué. Dans le contexte de réformes économiques qu’il cherche à imposer, une nouvelle classe bourgeoise néo-libérale issue du monde des affaires serait le meilleur pilier du régime et de sa stabilité. Cependant, une transition trop rapide ne laisserait pas le temps que se reconstitue cette nouvelle assise.

Camille Lons est chercheuse et coordinatrice au programme Moyen-Orient de l'ECFR

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