Mieux vaut tard que jamais : comment l’UE devrait répondre à l’”illibéralisme” d’Orban

L'Union européenne (UE) doit maintenant, bien que tardivement, poursuivre les procédures légales et politiques pour mettre un terme aux développements « illibéraux » de la Hongrie.

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L'Union européenne (UE) doit maintenant, bien que tardivement, poursuivre les procédures légales et politiques pour mettre un terme aux développements « illibéraux » de la Hongrie.

L’encre de l’amendement controversé sur l’éducation en Hongrie est à peine sèche que le gouvernement de Viktor Orban a déjà sa prochaine cible en vue :  les organisations de la société civile. Comme pour le projet de loi sur l’enseignement supérieur, le nouvel amendement cible les institutions qui soutiennent les valeurs et principes démocratiques, qui subissent de plus en plus de pressions depuis le discours tristement célèbre de Viktor Orban sur la démocratie « illibérale » de 2014.

Freedom House est allée jusqu’à rétrograder la Hongrie à « démocratie semi-consolidée » en 2015, prouvant à quel point la démocratie elle-même est en danger dans la république d’Europe centrale. Pourtant, il aura fallu beaucoup de temps à l’Union européenne pour accepter cette réalité.

Les récents changements législatifs ne sont pas les seules sources d’inquiétude à Bruxelles, mais ils sont représentatifs de l’approche du gouvernement envers les voix dissidentes. Selon le gouvernement, les amendements à la loi sur l’enseignement supérieur servent à réguler le statut des universités et facultés étrangères tout en s’assurant de la qualité de l’enseignement qu’elles fournissent. Au total, 28 universités sont concernées, mais aucune ne l’est autant que l’université d’Europe centrale (CEU), créée par le milliardaire et philanthrope né en Hongrie, George Soros. Bien que le gouvernement affirme que la CEU n’est pas la cible, ce n’est pas ce que laisse entendre la campagne de diffamation contre l’université dans les médias pro-gouvernementaux et par les représentants du parti au pouvoir.

Les organisations de la société civile, en particulier les défenseurs et gardiens des droits de l’homme, sont désormais elles aussi ciblées par une campagne du gouvernement affirmant qu’elles sont au service d’intérêts étrangers. Les amendements législatifs qui ont été proposés requièrent que les ONG recevant plus de 7,2 millions de forint – environ 23 000 euros – venant de l’étranger par an s’enregistrent comme « organisations recevant des fonds étrangers ». Elles seraient aussi obligées d’afficher cet avertissement sur leur site internet et leurs publications, et risqueraient des amendes et même la dissolution si elles s’y refusaient. Alors que cette proposition est présentée comme nécessaire pour des raisons de sécurité nationale et de plus grande transparence, les ONG publient déjà des informations sur leurs finances, comme le leur impose la loi actuellement en vigueur. Ainsi, les changements ne servent qu’à leur mettre une étiquette, créant un parallèle inquiétant avec la loi russe sur « l’agent étranger ».

Le gouvernement a continué à durcir sa législation concernant les demandeurs d’asile et a lancé une « consultation nationale » intitulée « Arrêtons Bruxelles ! », faisant naître de nouvelles inquiétudes quant au respect des droits de l’homme. Cette consultation hautement biaisée affirme, par exemple, que « Bruxelles » veut forcer la Hongrie à autoriser les immigrés clandestins à entrer dans le pays. Ces évolutions amènent à s’interroger sur la volonté du gouvernement hongrois d’aspirer toujours aux valeurs européennes de démocratie, ou s’il cherche plutôt à construire un « régime hybride » tel que la Russie ou la Turquie.

La soudaine multiplication des changements législatifs problématiques et la nouvelle campagne anti-UE ont tiré la sonnette d’alarme à la Commission européenne et au Parlement européen. Quatre ans après la sortie du rapport Tavares sur le statut des droits fondamentaux en Hongrie, le pays est de nouveau dans le collimateur de Bruxelles. Le 12 avril, Frans Timmermans, le vice-président de la Commission, a fait état de plusieurs situations qui pourraient appeler au lancement d’une procédure d’infraction contre la Hongrie, et a annoncé l’intention de la Commission d’initier un dialogue politique avec le gouvernement hongrois, le Parlement européen et les Etats membres. Cependant, il a coupé court à toute hypothèse d’invoquer l’article 7 contre la Hongrie.

Tandis que les critiques du gouvernement hongrois s’attendaient peut-être à plus, appeler à un dialogue politique est une première étape importante. Cela laisse présager un changement d’approche de la Commission, c’est-à-dire qu’elle semble prête à s’occuper du tableau d’ensemble au-delà d’une lecture littérale de la loi.

Le gouvernement hongrois a traditionnellement été prêt à engager avec la Commission des discussions sur la législation, mais il a restreint le dialogue jusqu’à ce qu’il ne se concentre que sur la lecture littérale de la loi. Cela lui a permis de faire des concessions pour apaiser Bruxelles sans altérer l’esprit de la nouvelle législation, comme il l’a fait avec succès pour la célèbre loi sur les médias de 2011. En ce sens, le gouvernement hongrois voit l’Union européenne comme une simple construction légale, laissant penser que les espoirs pour un dialogue politique fructueux sont vains.

La Commission devrait s’attendre à ce que le gouvernement hongrois présente le dialogue en lui-même comme une attaque politique contre la Hongrie – et certainement comme des représailles au refus de la Hongrie d’accepter les décisions sur la question des réfugiés. Tout cela doit être vu dans le contexte des élections législatives de l’année prochaine, avec Viktor Orban cherchant à mobiliser ses soutiens contre les « ennemis de la nation hongroise » – qu’ils soient réels ou imaginaires.

Cependant, cela ne devrait pas empêcher la Commission et le Parlement d’amener la discussion dans le domaine politique, en particulier parce que la stratégie consistant à empêcher la régression de la démocratie uniquement à travers des procédures d’infraction a clairement échoué. Avec un peu de chance, la combinaison des deux empêchera les procédures d’infraction de passer à côté du tableau d’ensemble. La poursuite des évaluations juridiques, en parallèle avec les résultats d’un dialogue politique sérieux, pourraient aussi servir comme fondations d’une « proposition raisonnable » nécessaire au déclenchement de l’article 7, si le besoin s’en faisait sentir.

On parle souvent de l’article 7 comme de « l’option nucléaire », une étiquette inutile qui limite son utilisation. Cela devrait être dépassé. C’est le devoir de la Commission, du Parlement et des Etats membres d’initier l’article 7, s’il le faut, et de le faire même s’il risque d’être bloqué.

La dernière vague de manifestations contre les actions du gouvernement qui a débuté en avril en Hongrie donne une nouvelle impulsion à ceux qui défendent les valeurs démocratiques dans le pays. La Commission européenne, en tant que gardienne des traités, devrait être en première ligne. La régression de la démocratie en Hongrie n’a pas seulement créé un précédent dangereux – l’effet spill-over que l’on voit déjà en Pologne – mais la laisser se poursuivre sans la maîtriser discrédite sévèrement les fondations normatives de l’Union européenne elle-même, à une époque où son avenir est déjà menacé.

 

Zsuzsanna Végh est chercheur à l’université européenne Viadrina, et chercheur associée à l’ECFR. Les opinions exprimées ici sont celles de l’auteur.

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