Angela Merkel : leader du monde libre ?

Angela Merkel n’aime pas les titres tape-à-l’œil, mais la chancelière a déjà commencé à rallier des soutiens pour défendre une Allemagne plus forte au sein de l'Europe et sur la scène internationale. 

Angela Merkel n’aime pas les titres tape-à-l’œil, mais la chancelière a déjà commencé à rallier des soutiens pour défendre une Allemagne plus forte au sein de l'Europe et sur la scène internationale. 

L’allocution empreinte de valeurs d’Angela Merkel en réponse à l’élection de Donald Trump comme nouveau « leader du monde libre » a été largement saluée. En s’adressant à la presse le 9 novembre, la chancelière a ainsi déclaré : « L'Allemagne et les Etats-Unis sont liés par des valeurs, la démocratie, la liberté, ainsi que le respect du droit, de la dignité de l'homme indépendamment de sa couleur de peau, de sa religion, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de ses convictions politiques. C'est sur la base de ces valeurs que je propose une coopération étroite au futur président des Etats-Unis, Donald Trump. »

 « Je suis tenté de dire que le leader du monde libre est désormais Angela Merkel » estime l’historien Timothy Garton Ash dans sa tribune du Guardian, qui a qualifié l’allocution de la chancelière de « superbe ». Connaissant la nature allemande au moins aussi bien que Garton Ash, il est facile de deviner une certaine prudence dans une telle affirmation. Et il a bien raison. Ce qualificatif devrait paraitre quelque peu saugrenu à la chancelière. Celle-ci n’est pas connue pour son pathos, et son temps passé au pouvoir a été marqué par une main de fer et une efficacité redoutable. Elle n’est pas non plus une grande oratrice, et tandis qu’elle peut admirer l’éloquence du Président Obama, qui est venue lors de sa tournée d’adieu à l’Europe à Berlin la semaine dernière, elle contrôle la mesure de l’émotion dans chacun de ses discours. Comme l’a expliqué Josef Janning de l’ECFR, le terme « ordre libéral » ne signifie pas grande chose en Allemagne. A la place, c’est l’économie sociale de marché – qui associe liberté économique et responsabilité sociale – qui fait sens.

Cela étant dit, il ne fait à présent aucun doute que l’Allemagne a le potentiel de faire la différence sur la scène internationale. Les enjeux pour Berlin sont désormais plus importants suite à l’élection de Trump, rendant l’action non plus une question de choix mais d’intérêt.

Alors, faisant fi de la mystification de « leader du monde libre », comment Angela Merkel appréhende-t-elle ses nouvelles responsabilités à l’aube de l’élection américaine, le vote du Brexit, et la crise des réfugiés ? Le débat sur le budget au Bundestag la semaine dernière en dit long sur sa manière de voir les choses.

Ainsi, la plupart de son discours d’une quarantaine de minutes était tourné vers l’avenir et portait la réflexion sur les développements sur la scène internationale, l’état de l’Union européenne, et finalement les conséquences de ces développements pour l’Allemagne. Sa préoccupation centrale ? Comment les Allemands et les Européens peuvent-ils donner visage humain à la mondialisation à un moment où celle-ci est perçue avec défiance par les citoyens qui préfèrent se retrancher derrière les lignes nationales et aspirent à la stabilité plutôt qu’au changement ? La réponse de Merkel est claire : le protectionnisme n’est pas la solution et nous devrions au contraire saisir l’opportunité qui s’offre à nous de façonner ce monde nouveau.

La chancelière est bien au fait qu’une telle approche comporte son lot de risques. On a pu constater un sentiment grandissant parmi l’opinion publique que le gouvernement fédéral est au service des « autres » (les « Grecs », les « refugiés ») – mais qui est au service des Allemands ? Merkel s’est soigneusement occupée de rassurer ceux qui partagent ce ressenti en expliquant de manière assidue qu’il n’y a désormais plus de différence entre l’intérieur et l’extérieur, et qu’en œuvrant pour le monde et l’Europe, le gouvernement reste au service des intérêts du peuple allemand. Pour compenser son message d’ouverture, la chancelière a affirmé que la sécurité des citoyens allemands était d’une importance capitale pour le gouvernement. Avec toute l’assurance d’un chef d’Etat qui comprend à quel point il est important pour l’Allemagne de siéger à la table des négociations, elle veut que l’Allemagne soit prête à assumer des responsabilités clefs sur la scène internationale, sans craindre l’inconnu. Au lieu de promettre la protection et le repli, Merkel propose une ouverture. Cette rhétorique est le produit d’une concertation stratégique de ses conseillers et se retrouve à présent dans l’ensemble de ses discours.

L’allocution de la chancelière fait le lien entre la prospérité allemande et celle de l’Union européenne (UE) ce qui veut dire que ceux qui souhaitaient entendre le plan d’action de Merkel pour son pays se sont retrouvés à écouter ses idées sur comment renforcer l’Europe et façonner la mondialisation à travers l’UE et autres organisations et alliances.

A la veille d’une élection qui s’annonce comme étant la plus difficile de son mandat, et juste après avoir annoncé se présenter une nouvelle fois au nom de l'Union chrétienne-démocrate, Merkel se bat pour une ouverture de l’Allemagne sur le monde. A la suite de l’élection de Donald Trump et de l’imprévisibilité qui s’en dégage, le pays va devoir redoubler d’efforts, notamment la personne qui siègera à la chancellerie.

Lorsque Merkel a pris la parole au matin du 9 novembre, son message ne s’adressait pas en premier lieu aux Etats-Unis. Ce n’était pas non plus l’expression de sa détermination à affronter Donald Trump pour le titre de « leader du monde libre ». C’était une déclaration délivrée avant tout pour le peuple allemand.

Trump fera son entrée à la Maison Blanche en janvier 2017 et commencera à appliquer sa politique étrangère à un moment où l’Allemagne sera plongée en pleine période de campagne électorale. Le nouveau président des Etats-Unis pourrait constituer un obstacle de taille pour Berlin. Angela Merkel le sait. Et depuis l’annonce de sa victoire, Merkel a fait savoir la ligne de conduite à adopter. Bien qu’elle n’aime pas les titres tape-à-l’œil, la chancelière bénéficie déjà d'un fort appui au niveau national pour la promotion d'une Allemagne plus forte au sein de l'Europe et sur la scène internationale. La droite et la gauche ne sont pas étranger à un anti-américanisme, et l’élection de Donald Trump a été perçu par plus de 80% des Allemands comme un fait « inquiétant » voir « très inquiétant ». Merkel sait qu’un président Trump très actif sur le plan politique la rendrait vulnérable car les Etats-Unis constitue le partenaire le plus important de l’Allemagne, après l’Europe. Il y a un réel intérêt à coopérer. Mais que se passerait-il si Trump mettait en pratique son programme de campagne si controversé ?

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